La petite fille et les soldats

 
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Mai 1940. Lucie Gielen n’a pas encore cinq ans quand l’armée allemande s’installe dans la caserne de la Chartreuse. Elle se souvient pourtant de ces années dans Mémoires de guerre d’une petite fille à Liège et autres souvenirs (1). Elle a accepté que je partage ses souvenirs avec vous…
 

Donc, les Allemands sont là. A la Chartreuse. On nous interdit d’aller rôder dans ce coin-là. Et si on y va malgré tout, on nous gifle sans explications.

Et pourtant… Ils chantent si bien. Ils jouent du clairon. Ils font l’exercice dans les rues du quartier, parfois torse nu (…).

L. M., page 20.
Soldats allemands posant en face de la caserne de la Chartreuse (2).
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Comme tous les enfants de son âge, même en temps de guerre, Lucie joue avec son traineau dans les prairies en face de la caserne…


L’hiver 1942-1943 a été rude et la neige est tombée dru. Un dimanche matin, j’ai quitté la maison très tôt avec mon traineau pour être sûre d’avoir la piste pour moi toute seule (…). Dans ma solitude ouatée, j’entends brusquement des clameurs venant de la caserne (…). Ils sont cinq ou six , le visage complètement recouvert de bandelettes blanches. Et ils ont des souliers longs d’un mètre et si fins qu’ils font gicler la neige autour d’eux. (…) Evidemment, ils s’amusent à rebondir sur la bosse et, sans hésiter, ils s’engouffrent dans le thier de la Chartreuse où je les vois disparaître sous l’arvô (…).

J’apprendrai bien plus tard (…) que ce sont des skieurs qu’on a renvoyés du front russe parce qu’ils avaient eu le visage brûlé par le gel.
L. M., pages 23-25.


Enfant insouciante, elle s’approche d’un soldat allemand…


On a des lapins. Mais l’herbe manque dans notre petit jardin (…). (…) on se retrouve sur la pente asphaltée qui arrive à l’esplanade de la Chartreuse. L’un des deux côtés de cette route est bordé par une grande prairie (…). On n’a pas le droit d’y aller. Elle est condamnée par des barbelés.

Un jeune soldat allemand est chargé d’y surveiller les chevaux (…).

Un jour que je m’échinais à récolter un peu de l’herbe rare du talus, il passe son bras vert-de-gris à travers les barbelés et je comprends d’emblée qu’il veut mon panier. En trois coups de poignard, il le remplit à ras bord.

L. M., pages 30-31
.

Septembre 1944. Lucie voit poindre son neuvième anniversaire. Les américains approchent. La rive gauche de Liège est déjà libérée, mais les allemands occupent toujours la Chartreuse.


Un résistant isolé qui avance de seuil en seuil s’est mis en tête d’aller libérer la Chartreuse tout seul. Mon père l’incite à la prudence mais l’illuminé ne veut rien entendre. Les américains s’emparent du fort pendant la nuit et JaJacques Lambiet viendra me chercher le lendemain matin: «Viens voir, Lulu, viens voir, il y a un mort.»

L. M., pages 31-32
.

Ce ne sont plus des skieurs qui dévalent à présent le thier de la Chartreuse, mais des chars américains. La caserne a été bombardée depuis Boncelles. Les derniers soldats allemands, en retraite vers l’Allemagne, sont faits prisonniers à la Chartreuse après s’être rendus. Ils seront rassemblés dans un enclos situé entre la rue de la Charité et le thier de la Chartreuse.

Les gens du quartier, un à un d’abord, puis en masse, pénètrent à la Chartreuse pour y piller ce que les Allemands ont laissé derrière eux. Pas grand-chose, à vrai dire. Des casseroles, des bancs, des couvertures, du lait en poudre.

L. M., page 34.
Prisonniers allemands quittant la caserne de la Chartreuse (3).
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Char américain à l’entrée de l’hospice des Petites Soeurs des Pauvres dans le thier de la Chartreuse (4).
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Le 26 septembre 1944, l’hôpital de campagne 28e General Hospital US Army s’installe dans la caserne de la Chartreuse. Il y restera jusqu’au 5 juillet 1945, comme le rappelle la plaque commémorative placée à l’entrée de l’ancien fort.


Cette unité avait été constituée au Camp Rucker (Ozark, Alabama) en juin 1942. Après une période de formation, elle fut transférée vers l’Angleterre en décembre 1943. Ce n’est qu’à la mi-aout 1944 qu’elle arriva en France. Le 22 septembre, on lui donna l’ordre de prendre la direction de Liège. Les bâtiments de la caserne n’étaient pas en état pour recevoir les blessés. Ce n’est qu’un mois plus tard que ceux-ci purent y entrer; jusqu’alors, ils étaient installés dans des tentes.


La plaque commémorative à l’entrée de l’ancien fort (5).
Les tentes du 28th General Hospital devant le bâtiment de la caserne qui sera aménagé (6).
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Ambulance américaine dans la caserne de la Chartreuse (7).
L’hôpital avant son aménagement (8).
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Les infirmières préparent les lits (9).
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Décembre 1944. Gerd von Rundstedt lance ses troupes à l’assaut des Ardennes. Liège tremble.

Vo-l’-zès r’chal !

Ma mère ne veut plus les voir. Elle veut quitter la rive droite pour aller se réfugier à Hannut chez son oncle Léon. Von Rundstedt n’atteindra jamais Hannut, n’est-ce pas?

L. M. Page 36
.

Après avoir subi le bombardement des américains à la libération de Liège, la caserne de la Chartreuse est à la merci des V1 et V2. De novembre 1944 à janvier 1945, la province de Liège “reçut” 2.141 bombes volantes. A Grivegnée, on en dénombra 22, faisant 40 morts, 173 blessés et laissant 1.900 maisons détruites ou sinistrées. Selon le site web WW2 US Medical Research Centre, le corps de place de la Chartreuse fut également touché. (photo 11); mais pas de trace d’une chute de V1-V2 à cet endroit dans la carte établie après la guerre (photo 12).


La maison Lambinon a encaissé le bombardement de septembre 1944 (10).
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La caserne de la Chartreuse après la chute d’un V2, selon le WW2 Us Mediacal Research Centre (11).
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Localisation des chutes de V1-V2 sur Grivegnée (12).
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Ce casernement de quasi une année aura marqué les soldats du 28th General Hospital, comme l’attestent les nombreuses photos qu’ils ont prises.

On pose sur le toit de l’hôpital de la Chartreuse (13).

(1) Mémoires de guerre d’une petite fille à Liège et autres souvenirs, Lucie Minguet, Now Future Editions ASBL, Liège, 2017, 140 pages, 16 €.

https://nowfuture-editions.com/produit/memoires-de-guerre-dune-petite-fille-a-liege
(2) Photo disponible sur le blog https://cedvdh.skyrock.com. Derrière les soldats, c’est la partie supérieure du thier de la Chartreuse. Tout au fond, à gauche les maisons 45 et 47 de la rue Justin Lenders. A droite, les maisons de la rue Joseph Dejardin.
(3, 4) Clichés réalisés à la libération par un riverain oeuvrant comme interprète pour les troupes américaines (nom inconnu). Copies de Christian Pisart.

(5) Photo André Rombauts, septembre 2018.
(6, 7, 8, 9, 10, 11, 13) Photos prises par l’armée américaine, disponibles sur le site web du WW2 US Medical Research Centre
https://www.med-dept.com/unit-histories/28th-general-hospital/
(12) Photo disponible sur le site web http://www.chokier.com/FILES/PLANS/1945-Robot.html


André Rombauts,
avec mes remerciements à Mme Lucie Minguet et à M. Christian Pisart.

Publié le 30 septembre 2018
Mis à jour le 4 août 2023
http://www.lachartreuse.org/web/la-petite-fille-et-les-soldats/

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