La construction du fort de la Chartreuse
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Les fortifications antérieures
Avant le fort de 1818, plusieurs fortifications l’ont précédé, mais pas à la même place. Se sont succédées des fortifications françaises et hollandaises dans et autour du couvent des Chartreux. Extrait de l’étude Le premier fort de la Chartreuse à Liège (1689-1702) rédigée par Jacques Liénard (*), ce croquis, montre le positionnement de l’ancien fort, 400 mètres plus bas que le fort hollandais. Nous y reviendrons dans un prochain article.
Le fort de 1818
C’est en 1817, après la défaite de Napoléon 1er à Waterloo que les alliés ont décidé la construction d’un nouveau fort à La Chartreuse pour contrer les éventuelles velléités françaises de revenir vers Liège.
Le duc de Wellington est venu visiter les lieux le 1er aout 1817 (voir notre article 1817-2017: deux cents ans d’histoire de la Chartreuse). Comme il a rapidement décidé que les anciennes fortifications autour du couvent ne pouvaient pas être réutilisées et encore moins mises à niveau, il en a conclu qu’il fallait construire un tout nouveau fort, plus haut, en terrain plus dégagé.
Et c’est le hameau de Péville, très peu urbanisé (quelques maisons, une auberge, une ancienne ferme transformée en maison d’habitation et quelques granges) qui sera choisi (voir notre publication 1690-1817, Hameau de Péville, par Jacques Liénard).
Les expropriations sont rapidement réalisées, à l’exception de celle du notaire Lambinon, qui va monnayer le plus chèrement possible sa maison.
Un plan du futur fort est réalisé (voir notre article A quoi ressemblait le fort hollandais? – Le projet). Le plan en question ne sera pas réalisé exactement comme prévu.
Les différents ouvrages
A l’époque, un fort moderne est constitué d’un corps de place, d’ouvrages extérieurs et éventuellement d’un réduit. Ce sera le cas à la Chartreuse.
Contrairement à beaucoup de fortifications antérieures, les ouvrages de la Chartreuse ne portent pas de nom mais uniquement un numéro (voir la légende du Plan de 1817).
Le corps de place
Le corps de place (Co sur le plan) est la grande cour du fort. C’est le corps de place qui donne accès à tous les ouvrages de fortification lorsque l’on vient de la caserne.
Dans le corps de place, près de l’accès à la demi-lune DL4, on trouve un bâtiment dont la fonction est le rangement des affûts de canons.
Il existe un autre bâtiment sur le corps de place: la maison Lambinon. Cette maison, antérieure à la construction du fort, a été occupée encore après le début de la construction du fort. A son départ, les ingénieurs s’y sont installés, suivis par le premier commandant du fort. Celui-ci a pu occuper la maison mais avec l’ordre de la détruire en cas de nouvelle guerre.
Le corps de place est protégé, outre les ouvrages extérieurs, par une galerie de coffre qui court tout le long du mur de contrescarpe de tous les ouvrages extérieurs à l’exception de DL4, B5 et DL5.
Les bastions attachés
Les bastions 1 et 4 font partie intégrante du corps de place. Ils forment un angle d’attaque aigu, présentent deux faces et deux flancs, plus petits. On y accède directement par le corps de place.
Un laboratoire des poudres est construit dans la cour du bastion 4. Le laboratoire est construit au plus loin de la caserne pour qu’un accident éventuel soit le moins dommageable.
Les bastions détachés
Les bastions 2 et 3 sont accessibles via un tunnel appelé « poterne ». Cette poterne traverse le rempart du corps de place et donne accès à une petite cour à l’arrière du bastion.
Les bastions détachés forment un angle d’attaque d’environ 90°. Ils présentent deux faces et deux flancs plus petits sur l’arrière.
La poterne, la cour arrière et le bastion sont à la même hauteur que le corps de place. Le bastion est une position d’artillerie lourde, non destinée à être déplacée.
Les poternes sont chacune flanquées de deux petits locaux côté corps de place, appelés « réserves journalières ».
Les demi-lunes de front
Les trois demi-lunes de front (DL1, DL2 et DL3) sont accessibles par des poternes inclinées, qui descendent du corps de place vers le fossé entre le corps de place et la demi-lune.
La poterne est flanquée de deux locaux de coffre côté fossé, équipés chacun de deux séries de trois meurtrières. Le but n’est pas de placer six fusiliers dans chaque local de coffre, mais bien de permettre à deux fusiliers de choisir la meurtrière par laquelle il veut tirer.
Une fois sorti de la poterne, le soldat doit traverser le fossé, protégé par une caponnière des tirs ennemis depuis le fossé.
La demi-lune est un ouvrage extérieur présentant un angle d’attaque d’environ 90° Elle est pourvue de deux faces et de deux flancs qui sont les murs arrières de la demi-lune.
Elle est munie de ses propres défenses et de son propre fossé. Elle est plus haute que le terrain extérieur mais plus basse que le bastion. Elle est destinée à fournir un appui d’infanterie et d’artillerie légère, déplaçable par des petits chevaux.
Les demi-lunes de gorge
Parfois appelées ravelins ou redans, les demi-lunes de gorge (DL4 et DL5) sont des ouvrages extérieurs beaucoup plus simples que les demi-lunes de front.
L’accès à la demi-lune de gorge se fait aussi par une poterne flanquée de deux locaux de coffre et par une caponnière qui traverse le fossé mais elle est nettement moins complexe.
Son but est uniquement de défendre le fort d’une attaque à revers. Mais quand un assiégé en est à se battre à revers, la bataille commence à tourner à l’avantage de l’assaillant.
A noter que les Hollandais se méfiaient nettement plus des Liégeois, toujours prêts à la révolte, que d’une éventuelle nouvelle invasion française. C’est la raison pour laquelle lors de la révolution belge, en 1830, la Chartreuse n’était occupée que par un sergent, un caporal et une dizaine d’hommes alors que la Citadelle possédait une garnison complète.
Elle est munie de deux rampes donnant accès au rempart de demi-lune. Son mur de contrescarpe n’est pas équipé de galerie de coffre.
Les flèches
La flèche 1 et la flèche 2 (F1 et F2) sont des ouvrages extérieurs autonomes. Elles sont destinées à empêcher un contournement du fort par une armée d’invasion.
Comme la flèche 1 a été démolie et urbanisée de longue date, il ne reste que la flèche 2 à observer.
La flèche est accessible par les poternes des demi-lunes voisines et ne possède pas sa propre poterne d’accès. La flèche est un fort miniature, qui possède ses propres fortifications, son réduit et sa galerie de coffre. Elle est équipée d’artillerie légère et de mousqueterie. Elle est protégée par les canons du bastion qu’elle défend.
Il existe un système d’évacuation des eaux pluviales, vraisemblablement comme dans le reste du fort. Dans la flèche 2, il est toujours existant et se déverse dans l’ancien chemin du Beau-Mur, mis en cul-de-sac par les constructeurs du fort.
Le réduit, ou bastion 5
Ce bastion est le réduit du fort. C’est dans celui-ci que se trouvent les casernes, la poudrière, la poterne d’entrée du fort et différents services tels que la cuisine, la boulangerie et d’autres.
Le réduit est protégé côté corps de place par un fossé traversé par deux ponts dormants qui permettent de passer de la caserne vers le corps de place. Une galerie de coffre est présente dans le mur de contrescarpe du fossé.
Le premier étage du mur d’escarpe des trois bâtiments de la caserne est percé de meurtrières mais seul le rez-de-chaussée du bâtiment central en est percé.
A gauche et à droite des bâtiments de la caserne sont percées des « chambres à canons » destinées à tirer dans le fossé entre les demi-lunes arrières et le corps de place.
C’est dans le mur d’escarpe du réduit côté ville qu’est réalisée la poterne d’entrée. Celle-ci est flanquée de deux locaux de coffre servant de corps de garde et d’infirmerie. Les murs d’escarpe sont percés de meurtrières.
Le bastion 5 est protégé, comme tout le reste du fort, par un fossé, mais le mur de contrescarpe, comme DL3 et DL4, n’est pas pourvu de galerie de coffre.
Le fossé est pourvu d’un pont levis.
Là aussi, quand on en est à se battre pour le bastion 5 (ou réduit), c’est que la bataille est quasi perdue pour les défenseurs.
Le réduit ayant été profondément remanié au fil des époques les photos ci-dessus ne sont données qu’à titre indicatif.
Au symétrique de la poterne d’entrée, dans le rempart du bastion 5 aussi, se trouvent les poudrières.
Dans le réduit, près du rempart arrière de B5, se trouve un pigeonnier fortifié. Il sera démoli avant la première guerre mondiale et remplacé par un bâtiment de logements pour les officiers. Il s’agira du BM2.
C’est après 1891, au déclassement de l’ouvrage en tant que forteresse que les ouvrages extérieurs ont progressivement été vendus et démolis. La dernière construction dans le fort devenu une caserne date de 1956.
(*) Jacques Liénard, Le premier fort de la Chartreuse à Liège (1689-1702). Essai de localisation, Bulletin de la société royale Le Vieux-Liège, t. XII, no 258, 1992, p. 317-336
Pierre Michaux,